LE VIEUX CALVAIRE

Le vieux Calvaire sur la route,
A tout passant disait : Ecoute

La voix des pierres d’autrefois ;
Car mon granit vêtu de lierre,
Dans ce carrefour solitaire
A compté cent ans quatre fois.

Durant mon humble et longue histoire,
Je fus le modeste oratoire
Où paysans, grands et petits,
Venaient, dans leur rude langage,
M’apporter le naïf hommage
De leurs bonheurs, de leurs soucis.

Pendant les mornes saisons grises
Me glaçaient les nuits, et les brises
Quand elles soufflaient de la mer ;
L’été réchauffait ma misère.
Et le tout tissait sur ma pierre
Un manteau d’or bordé de vert.

Ainsi passait mon existence…
Un jour, cependant, la souffrance
Sembla près de moi se porter ;
Quatre ans mon douloureux calvaire
Fut celui de combien de mères !
Que de peines à consoler !

Hélas ! La tâche était trop dure ;
Alors, voyant que les blessures
Restaient ouvertes dans les cœurs,
J’ai résolu d’aller moi-même
Veiller près de ceux que l’on aime,
Pour tenter de tarir les pleurs.

Un cimetière est, en Belgique,
Devenu terre d’Armorique
Puisque nos enfants l’ont peuplé.
Je veux, là-bas, que l’on me dresse ;
Et tous les siècles de tendresse
En mon granit accumulés

Baiseront ces tombes premières
Où viennent chaque anniversaire
Prier nos amis de toujours ;
Comme dans nos moindres villages

L’on porte aux morts le témoignage
Du Souvenir et de l’Amour.

Et près de tous ceux qui reposent
Je deviendrai ces douces choses
Qu’on ne peut jamais oublier ;
Les invocations d’une mère,
Et l’ombre apaisante et légère
Qui tourne autour de nos clochers.

Pierre Massé
Le Tréhou, septembre 1931.